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MELVIL-BLONCOURT
le communard marie-galantais ? (SUITE)
Incarcéré par la police de Napoléon III :
Cette profession de foi devait porter ombrage à l'Establishment impérial. "Ce recueil fut supprimé
par le coup d'Etat de 1851, et son auteur, arrêté, subit quelques jours de détention à la Conciergerie".
Un témoin oculaire, également incarcéré après la rafle, le Nantais Auguste Chassin (le
Matoussin du Bachelier de Jules Vallès) dans son livre, "Souvenir d'un étudiant de 1848", traça un
portrait plaisant de Melvil-Bloncourt qui avait déjà pris part "aux agitations préparatoires de la
Révolution de Février", en conséquence déjà aguerri aux moeurs de la maréchaussée. Il écrit : "Un
mulâtre revêtu d'un habit noir râpé et qui jusqu'alors s'était tenu à l'écart de tout le monde, vint me dire
d'un ton mystérieux :
- On vous cherchera des complices; on trouvera des mouchards... Prenez garde ! Nous sommes
en prison !
Avec qui ?"
Auguste Chassin de préciser : "Après cinq heures, nous n'étions plus dans la salle des filles qu'une
dizaine, dont deux que l'expérimenté Melvil signala à notre mépris."
Au moment de l'appel des futurs libérés, alors qu'ils traversaient la salle où étaient empilées les
prostituées du quartier, "une énorme rousse s'écria à l'attention de Melvil : Beau nègre, j'en tiens pour
toi".
Cela, pour le portrait physique et spirituel.
Le critique littéraire :
Pour le portrait intellectuel, voici ce qu'il en dit : "Il professait pour Edgard Quinet une admiration
fanatique, exclusive. Il discutait Michelet, il réputait Quinet indiscutable."
Avant d'être plus tard l'homme politique respecté, le républicain radical, mais toujours tolérant, lui
qui disait, "il faut être juste même avec les rois" il mit sa
plume au service de ce que nous nommerions aujourd'hui la Presse de Gauche. Il collabora à divers
journaux républicains, "La Vraie République", "Le Peuple" de Proudhon, "La Voix du Peuple", se
consacra à l'étude des questions coloniales dans la "Revue du Monde Colonial" et les colonnes
de "L'Illustration". Dans ces deux publications il montra ses talents de critique et d'informateur érudit,
autant que vulgarisateur en matière d'art sur des sujets neufs pour le public de l'heure (la civilisation
aztèque, par exemple.)
Il fut le collaborateur de plusieurs dictionnaires d'alors auxquels il fournissait des articles : la
"Biographie Générale" de Didot, le "Dictionnaire universel" de M. Lachâtre, le "Dictionnaire" de
Larousse, enfin le "Dictionnaire des communes de France" de Joanne.
Jules Levallois, artisan d'une de ces créations, écrit le 26 février 1853 :
"...Je travaillais au dictionnaire de Maurice Lachâtre, étrange compilation !... y coudoyais Buchet de
Cublize, tête encyclopédique, intelligence vaste et impartiale, élève comme Tisseur, Blanc
Saint-Bonnet, Victor de Laprade, Fortoul dont il était le condisciple, du célèbre abbé Noirot... Parmi
les survivants, je citerai l'infatigable M. Charguéraud, liseur, fureteur, annotateur,
l'homme-dictionnaire, l'homme recherché et un lettré jusqu'au bout des ongles, M.
Melvil-Bloncourt, aujourd'hui représentant des colonies à l'Assemblée Nationale, l'un des hommes
qui possèdent et maintiennent le mieux la tradition intellectuelle, philosophique de notre pays".
Critique littéraire perspicace, corrosif et de grand talent, le premier et unique dans l'histoire de la
littérature antillaise, ses jugements ne passaient pas inaperçus. Un critique de "grand format",
comme Privat d'Anglemont. D'une plume alerte, fine lame à l'occasion, quand il ferraillait contre la
bêtise de l'homo sapiens. En voici un échantillon extrait de "Homme ou Singe ou La Question de
l'Esclavage aux Etats-Unis", tiré d'une chronique parue dans la "Revue du Monde Colonial" :
"Je devais ici même, après l'examen de l'oeuvre de M. Poussièlgue, parler de deux beaux livres
que j'ai mentionnés, mais je me rappelle que les lois de l'esthétique, aussi bien que les ordonnances
de police défendent certains voisinages".
Il n'est pas plus tendre à propos du Salambô de Flaubert. "Ce livre est à la science ce que le Génie
du Christianisme a été naguère à la religion catholique :
C'est de l'archéologie illustrée mêlée à beaucoup de pathologie". Ce jugement est tiré d'un article
inaugural de critique littéraire paru dans la Revue du Monde colonial de 1863, tome VIII. Il a de
nos jours encore
valeur d'enseignement pour un lecteur peu enclin à l'exotisme des situations romanesques. Il est à
noter quelles réserves de Melvil-Bloncourt rejoignaient celles de Jules Levallois et de Saint-René
Taillandier (2).
Alphonse Daudet, l'ami félon :
Il ne nous a pas été donné de pouvoir consulter ses sentences à propos des oeuvres de son ami
félon, Alphonse Daudet. Si, cependant, elles furent d'une même verve ravageuse, cela explique en
partie la hargne dont fera montre le Tartarin des Lettres. Selon des contemporains, ce serait l'une
des raisons de leur rupture. On ne saurait, en effet, éluder l'ombre de Daudet à l'occasion d'un essai
de biographie de Melvil-Bloncourt. Car leur histoire littéraire semble interférer avec leur histoire
personnelle. Mais ceci n'aurait pas dû justifier cela.
En 1899, paraissait l'édition définitive, chez Alexandre Houssiaux, éditeur à Paris, sous la plume
d'Alphonse Daudet, d'un roman "Jack", avec en sous-titre, "Moeurs contemporaines". Ce roman avait
couru le feuilleton dès 1876 dans "Le Moniteur" de Paul Dalloz. Un des personnages remarqués de
ce livre vériste, à double raison, parce qu'il est mulâtre et barbouillé à souhait par le portraitiste, se
nomme Moronval. Il ne passa pas inaperçu et fit la fortune de l'auteur-barbouilleur. A telle enseigne,
nous dit Oruno Lara, que Monroval fut considéré comme "un type physique et moral réussi du créole".
(p. 274, op. cité). L'on comprend pourquoi ce livre de piètre facture à tous égards fut à l'époque un
succès mitigé de librairie, mais apprécié par l'élite (George Sand). Ce Moronval présenté plus
comme un tenancier d'hôtel borgne, que comme le directeur d'une institution libre, par les descriptions
physiques appuyées, l'origine sociale et intellectuelle, maquillée par endroits pour donner le change,
n'échappa pas à la "Cité Intellectuelle". Page 42 l'on lit : "Evariste Moronval, avocat et littérateur, avait
été amené de la Pointe-à-Pitre en 1848, comme secrétaire d'un député de la Guadeloupe".
L'on peut dire, de manière générale, de tous les personnages mis en scène par Daudet, de
Moronval à Jack, en passant par le professeur de littérature, Amaury d'Argenton, qu'il se trouve
toujours un détail évoquant la personne de Melvil-Bloncourt. L'on n'aurait pas tenu grief à Alphonse
Daudet d'avoir peint un type de mulâtre crédible, mais ici la boursouflure, la haine, l'emportent sur
la littérature. Même les comparses de Moronval en subissent l'effet. Les deux piliers de ce livre sont
le vérisme et le misérabilisme. Dans ce second cas sourd un racisme dont Alphonse Daudet ainsi que
ses contemporains n'avaient pas conscience.
Jules Clarétie, qui était un familier de Daudet, dans ses "Célébrités contemporaines" (1883), livre la
clé du rébus d'Alphonse Daudet. "Faut-il le nommer aujourd'hui ce Moronval ? On l'a porté naguère
au cimetière, il s'appelait Melvil-Bloncourt". Firmin Maillard, d'une manière plus primesautière
évoque la bassesse d'Alphonse Daudet : "...on peut quelquefois ne pas rendre le dîner qu'on a
accepté, mais le vomir sur la tête de l'amphitryon a toujours été regardé comme une chose
malséante... tout cela est parfaitement exact, l'auteur a connu Moronval. Il allait aux soirées de
Moronval, il buvait l'orgeat de Moronval et y faisait danser les demoiselles; Moronval était jaune
foncé, le romancier l'a peut-être vu un peu noir... tant pis pour Moronval".
("La Cité* des Intellectuels" p. 146).
Alphonse Daudet, pour corroborer son travail de démolition contre son ex-ami, la fortune littéraire
aidant, fit une adaptation de "Jack", en collaboration avec H. Lafontaine. Elle fut représentée pour la
première fois le 11 janvier 1881 au théâtre de l'Odéon. (E. Dentu, éditeur, 1882). Ici encore, le vérisme
fut poussé à l'extrême. Monsieur Lafontaine, jouant le rôle d'Amaury d'Argenton, avait (ou s'était fait
?) la tête de Melvil-Bloncourt, telle que la photographie la représente : le visage barré d'une large
moustache...
Le journaliste, Maxime Rude, autre mémorialiste réfléchi de cette fin de siècle, a, non sans raison,
pu écrire du très (et trop) célèbre Daudet : "Trop de bonheur rend ingrat", faisant ainsi allusion aux
temps des vaches maigres du Tarasconais, lequel dut son entrée en littérature au duc de Morny dont
il était le secrétaire.
Il faillit être un de ces ratés qu'il a voulu décrire dans "Jack", si le duc de Morny n'avait pas passé
l'éponge sur une saisie-arrêt faite par un imprimeur sur ses appointements de secrétaire.
Le roman-pamphlet de Daudet parut alors que Melvil-Bloncourt s'était exilé en Suisse, après la
Commune de Paris à laquelle il avait pris part. Laissons le champ littéraire pour entendre la voix
des contemporains. Du journal "La Paix", 14 Mars 1925 : "Melvil-Bloncourt, dans ses critiques,
pratiqua l'éreintement en règle de Daudet qu'il qualifia de sous-officier des Lettres. Son adversaire le
ménagea encore moins...Les cénacles littéraires s'en mêlèrent toujours avec leur esprit frondeur. Les
amis de Daudet traitèrent Melvil-Bloncourt de malheureux en choix, et ceux du dernier infligèrent à
son antagoniste le nom d'un petit poisson dont l'application est rien moins qu'honorable".
Quant à nous, nous livrons au psychiatre ce passage tiré de la Chèvre de Monsieur Seguin : "Notre
en robe blanche fit sensation. On lui donna la meilleure place à la lambrusque et tous ces
messieurs furent galants... Il paraît même - ceci doit rester entre nous, Gringoire - qu'un chamois à
pelage noir eut la bonne fortune de plaire à Blanquette".
Quid d'Alphonse Daudet, écrivain ? Voici un jugement de son dernier biographe, Madame Wanda
Banour (France-Culture , 19 heures, 25 juillet 1990) : du « sous-Zola ». D'Henri Guillemin, commentant
l'oeuvre de Jules Vallès : "considérer avec différence, et selon la tradition, Alphonse Daudet, par
exemple, comme un grand écrivain, et réserver une place dans son ombre - une sorte de niche à
chien - à Vallès, cela relève de la bouffonnerie".
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