Page 43

Retour page 1 - Accueil:
MELVIL BLONCOURT:
Plan du site:
Pour nous joindre :
gerald.bloncourt@club-internet.fr
La dictature des Duvaliers:
Les 5 Glorieuses de 1946:

Le site : NEW WEST INDIAN
est à visiter absolument !

________________________________________________________

MELVIL-BLONCOURT

le communard marie-galantais ? (SUITE)

Le parlementaire :

C'est l'instant d'évoquer le parlementaire. Melvil-Bloncourt fit son entrée sur la scène politique avec la chute de l'Empire. La Guadeloupe avait eu à élire deux députés. Le 15 octobre 1870, dans le journal "Le Commercial" (Guadeloupe) était proposé le tandem, Victor Schoelcher et Melvil-Bloncourt. Le 21 octobre 1870, le journal "L'Avenir" (Guadeloupe) proposait une : Victor Schoelcher et Auguste Duchassaing.

Il faut dire que la candidature de Melvil-Bloncourt n'allait pas de soi, - son intégrité et ses qualités intellectuelles n'étant pas en cause - mais ses adversaires, à Paris comme à la Guadeloupe, n'avaient pas oublié sa participation à la Commune. Le 10 mars 1871, "L'Avenir" donnait les résultats des élections de Paris où avait été élu Victor Schoelcher, en même temps que Victor Hugo, Gambetta, Ledru Rollin, Clémenceau. Y était également insérée une note-manifeste en faveur d'Adolphe Rollin et Melvil-Bloncourt. Le 11 mars 1871, "Le Commercial" (Guadeloupe) publiait le manifeste suivant dans lequel M. Rollin déclarait : "la nomination de notre illustre concitoyen, Victor Schoelcher, à la représentation de Paris, étant un fait accompli, il y a lieu de porter nos voix sur un autre candidat.

Je me substitue à M. Schoelcher dans la combinaison libérale représentée par lui et par M. Melvil-Bloncourt auquel je suis uni par mes principes et mes convictions".

En dépit des palinodies et des cabales, au premier tour de scrutin du 19 mars 1871, Melvil-Bloncourt obtint 3211 voix, Adolphe Rollin 2898. Au second tour du 9 avril les résultats furent : Melvil-Bloncourt 2977, Victor Schoelcher 2495, Adolphe Rollin 2393, Auguste Duchassaing 2074. Le 25 avril 1871, la Gazette Officielle donnait un scrutin rectifié : Melvil-Bloncourt 3322 voix, Adolphe Rollin 2756. C'étaient les deux candidats ayant eu le plus de suffrages. Et, voilà comment, Melvil-Bloncourt devint député de la Guadeloupe.

Cette victoire ne fut pas vue d'un bon oeil à Paris, car la Commune venait de prendre fin, et le nouveau parlementaire en sortait. D'une synthèse de rapport (cote 74) faite à l'autorité militaire voici un aperçu : "De son élection à la Guadeloupe, voici ce que l'on raconte :

Il s'agissait d'élire deux députés. Un propriétaire blanc, Monsieur Rollin, homme fort honorable posait sa candidature, mais on lui fit observer qu'il ne passerait qu'en même temps qu'un homme de couleur.

On songea alors à Melvil-Bloncourt qui, étant établi en France depuis de nombreuses années, tirait de son éloignement ce prestige qui, aux colonies, entoure rapidementles créoles venant habiter Paris.

M. Rollin fit les frais de la double élection et malgré l'opposition de tous les gens sensés, Bloncourt passa à la remorque de M. Rollin, mais à une très faible majorité."

De 756 voix, cependant !!!

Son action au Parlement :

Durant son bref passage à l'Assemblée nationale, de juin 1871 à février 1874, Melvil-Bloncourt fut un parlementaire actif au bon sens du terme et un remarquable démocrate. S'il fut un politique respecté et écouté dans l'hémicycle, intellectuel il le fut non moins, double notion qui ne cohabite généralement pas chez des politiques d'aujourd'hui ou d'autrefois de quelque obédience qu'ils se réclament. Nous entendons, intellectuel, au Ignacio Silone : "Ce mot d'intellectuel je l'emploie dans un sens précis : je désigne ainsi tous ceux qui contribuent à la formation d'une conscience critique au sein d'une époque. Dans le sens où je l'entends, ce terme désigne une fonction et non pas une corporation."

Citons quelques unes de ses initiatives : il amorça la création d'une bibliothèque communale dans la Ville de Pointe-à-Pitre, par l'envoi de livres obtenus du Ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts. De ces ouvrages, toutes disciplines confondues mais notamment de littérature et de sciences, nous en avons dénombré 390 ! Cela peut paraître modeste, mais le geste est toujours neuf. Cet envoi de livres dut sembler insolite au maire de Saint-Louis d'alors, M. Raiffer, auquel le généreux pourvoyeur répondit : "Moins de livres ! dites-vous. Goethe disait : De la lumière ! encore de la lumière ! Je Suis de l'avis de Goethe. Et j'ajouterai : pas assez de livres."

Il eut, par ailleurs, le projet -hardi pour l'époque de créer un musée public. Entre autres artistes il avait choisi les tableaux du peintre guadeloupéen, Guillaume Guillon, dit Lethière, un cacique des Beaux-Arts, en hommage filial, disait-il, à la Guadeloupe, ce qui peint bien le caractère moral de cet homme de culture qui fut chargé de mission culturelle avant la lettre.

Malheureusement, Melvil-Bloncourt ne put parachever son oeuvre de salubrité mentale, son mandat parlementaire allant être écourté, son passé de communard n'ayant pas été oublié par tout le monde. Ce d'autant que, sur le plan politique, il était toujours resté égal à lui-même. Il siégea à l'extrême gauche de l'Assemblée nationale, et vota contre le pouvoir constituant, contre le septennat. C'est l'heure de faire un retour en arrière pour le situer dans le mouvement communaliste qui allait infléchir la trajectoire de sa vie.

Le passé de Communard :

Melvil-Bloncourt enfermé dans Paris durant le siège de 1870, honorant ses convictions politiques, devint un rouage important de la Commune, puisque adjoint du Délégué à la Guerre, Cluseret. De la synthèse des rapports (cote 74), nous lisons : "au mois de décembre 1870 il habitait une propriété sise entre Vanves et Issy, mais, lors de l'investissement, il se réfugia à Paris, rue de Navarin N° 19, dans un appartement mis à sa disposition par un Sieur Martel, artiste dramatique qui était parti en Bourgogne. Au début du siège Melvil-Bloncourt se fit incorporer dans le 116e bataillon de la Garde Nationale, mais il y resta peu de temps"...

"Pendant la période insurrectionnelle, il eut de fréquentes entrevues avec Glais-Bizoin, avec Cluseret, dont il était le conseiller intime, et il aura assisté à tous les entretiens que ce dernier eut avec M. Bonvalet".

Le rapport adressé à la première division militaire (cote 105) précise : "... le 20 ou le 21 mars, il vint offrir à Lullier, à l'Hôtel de Ville, ses services, en disant qu'il donnait son adhésion pleine et entière au programme du comité central et de la Commune."

Son dévouement à la cause communaliste fit de lui une cible rêvée. L'arrivée au pouvoir du maréchal de Mac-Mahon devait mettre un terme à la vie parlementaire de Melvil-Bloncourt. Le prétexte était clair. Sous la Commune il avait eu la direction des engagements pour les bataillons de marche et d'artillerie. Le même rapport précise :

"Melvil-Bloncourt portait alors un képi de commandant d'état-major et avait sous ses ordres six employés que le comité central payait 3 francs par jour; Melvil de son côté, recevait ses émoluments, fixés à10 francs par jour, du caissier du Délégué à la Guerre." v D'après un extrait des Etats de solde, Melvil-Bloncourt aurait émargé du 1er avril au 15 mai pour la somme de 410 francs.

Le 5 février 1874, le général du Barrail, ministre de la Guerre, faisait part à l'Assemblée nationale du rôle joué en 1871 par le député de la Guadeloupe. A cette lettre était jointe une demande et autorisation de poursuite formulée par le général de Ladmirault, gouverneur de Paris.

"Je crois devoir appeler votre attention sur les faits suivants, desquels il résulte qu'un membre de l'Assemblée nationale est assez sérieusement compromis dans l'insurrection de la Commune pour qu'il puisse être l'objet de poursuites devant un conseil de guerre... Melvil-Bloncourt a prêté son concours à la Commune dans les conditions suivantes :

1) le 5 avril 1871, il fut chargé par décision du membre de la Commune, délégué à la Guerre, de la direction des engagements pour les bataillons de marche et d'artillerie; 2) 2) ce même jour, il a pris possession de son poste au Ministère de la Guerre, pavillon du Ministre, et 23 pièces - dont 16 revêtues de sa signature - certifient qu'il a réellement exercé jusqu'au 16 mai 1871 inclus les fonctions de chef de service des enrôlements; ces pièces portent presque toutes comme en-tête : "Ordre du Citoyen Cluseret, délégué à la Guerre..."

L'autorisation de poursuivre fut votée le 28 février1874, par 532 voix contre 64. Melvil-Bloncourt qui était parti pour Genêve quelques jours auparavant, fut condamné par contumace à la peine de mort le 5 juin 1874, par le 3ème Conseil de guerre de Paris, et déchu de son mandat de représentant le 9 décembre 1874 par un vote à l'Assemblée.

Voici l'attendu du verdict :

"Bloncourt-Melvil, Sainte Suzanne, dit Melvil-Bloncourt député de la Guadeloupe, Homme de Lettres, (contumax) coupable d'avoir en 1871, à Paris, participé à un attentat dont le but était d'exciter la guerre civile en armant et en portant (sic) les citoyens à s'armer les uns contre les autres; levé ou fait lever des troupes armées et enrôlé des soldats sans aucune autorisation du pouvoir légitime; exercé une fonction dans des bandes armées et provoqué des militaires à passer aux rebelles armés."

Ce verdict fut prononcé à l'unanimité. Il aurait pu ajouter, délit d'opinion et un salaire de 410 francs. Même des francs-or, c'était chèrement payé...

Si Melvil-Bloncourt échappa au peloton d'exécution, l'on ne saurait dire que la Presse l'y aida, car constamment, elle sonna plutôt l'hallali. Dans une lettre du 6 juillet 1872, il écrivait : "Le Figaro, l'année dernière, me dénonçait et demandait ma tête". Le "Petit Moniteur Universel", lundi 9 février 1874 n° 40, écrit dans une Dernière Heure : "Beaucoup de personnes se sont demandées comment M. Melvil-Bloncourt, ancien serviteur de la Commune n'avait pas été arrêté après la défaite de l'insurrection".

Dans "Paris-Journal", dimanche 8 février 1874 n° 38, sous le titre "Le cas Melvil-Bloncourt", le capitaine Grimal, ex-commissaire du gouvernement, écrit "... A M. Thiers, et à lui seul, la responsabilité du défaut de poursuites pour des crimes ou délits dont il avait une parfaite connaissance : personne, parmi certains rebuts du 4 septembre, n'avait sans doute intérêt à ce que Melvil-Bloncourt fut poursuivi, et il ne l'a pas été..."

Sans doute dut-il son salut à l'amitié que Thiers lui témoignait. Il devait cette amitié au fait qu'il avait voté le 24 mai 1871 pour le maintien de Thiers au pouvoir.

Un rapport de la Préfecture de Police sous la plume du policier M. Brissaud, daté du 6 février 1874, 9 heures un quart, soir, relate la filature dont fit l'objet Melvil-Bloncourt, de son domicile, accompagné "d'un autre mulâtre", à la gare de Lyon où il empruntait le train de Lyon-Italie. De son côté, la police helvétique ne démérita pas. D'un télégramme chiffré, N° 590, de Ferney pour Versailles, déposé le 9 février 1874, 5 heures 25 du soir, le commissaire spécial Ferney à Intérieur Sûreté Générale, annonce :

"Melvil-Bloncourt arrive à Genève hier au soir. Descendu chez Cluseret. Ce soir la proscription lui offre un punch chez Bellivier. Cluseret attend lettre Levraud pour partir".

En Suisse :

Réfugié en Suisse, il fit la navette, de Neuchâtel, Chêne et Genêve pour s'installer enfin à Genêve. Car il était toujours poursuivi et épié, comme les principaux proscrits, par les sbires du pouvoir. Si bien que, en 1879 encore, dans une correspondance à Nadar, il lui demandait de domicilier son courrier à cette double adresse : Chemin des Volandes (Maison Costes), 5e Chemin des Eaux Vives, Genêve, chez M. Pagès (aujourd'hui, ce sont des rues adjacentes).

Nous supposons que la dernière identité est empruntée au nom de jeune fille de son épouse, Françoise Pagès, née à Bâton Rouge, en Louisiane, contrairement à ce qui est rapporté par un acte de mariage de la mairie du XIe du 8 décembre 1859, qui la fait naître à Paris du diocèse de Bâton Rouge, daté du 5 Décembre 1835, prouve que Françoise Pagès y est bien née le 5 décembre 1833 de Jean Baptiste Pagès et de Colette Espinard.

L'on peut conjecturer que cette erreur de transcription est une séquelle de la Commune, car ce document évoqué est un acte de mariage rétabli en vertu de la loi du 12 février 1872, par la 2e section de la Commission dans sa séance du 22 octobre 1880. Que Pierre Bardin qui est l'inventeur de ces pièces et de la suivante soit ici remercié. Celle-ci est l'acte de mariage de Melvil-Bloncourt qui eut lieu en l'église Saint-Jacques du Haut-Pas. Elle est instructive, car fait apparaître le nom de ses amis de longue date. Parmi les témoins, nous relevons de Pierre Léopold Buchet de Cublize, Jules Prosper Levallois, Adolphe Edouard Bonnet, Auguste Caristie.

Nous ignorons quand et comment madame Melvil-Bloncourt gagna la Suisse, bien que G. Sarlat dans "Le Nouvelliste de la Guadeloupe" du 29 mai 1918, ait écrit : "Melvil, qui ne se faisait aucune illusion sur le sort qui l'attendait, quitta Paris pour la Suisse, avec la noble femme qui était sa compagne, aussitôt que fut déposée la demande en autorisation de poursuites sur le bureau du Parlement".

Toutefois, une Commission ayant été chargée d'examiner la validité des charges à l'encontre de Melvil-Bloncourt, dans le Cahier Rose (ainsi nommé par nous, à cause des marbrures de sa couverture) où étaient notées toutes les interventions des parlementaires, nous avons relevé une déclaration de Pierre Clément Eugène Pelletan, l'unique supporter de Melvil-Bloncourt, précisant que "Madame Bloncourt a chargé un député des colonies de protester en son nom contre les lettres de Cluseret."

(Cette protestation, si elle eut lieu, doit se trouver dans l'Analytique du Journal Officiel)

Pelletan faisait allusion à un courrier daté de Genève du 7 février 1874, jour de l'arrivée de Melvil-Bloncourt en Suisse, adressé à la commission, où en substance il réfute les charges prononcées :

"Je dois à la vérité de déclarer que tout cela est fort exagéré. M. Melville (sic) avec lequel je n'ai eu aucun rapport direct depuis la Commune, et pour ainsi dire pas pendant, vint me trouver en avril 71 sous l'empire de la nécessité. Comme beaucoup d'hommes de lettres à cette époque il était sans ressources."

Essayait-il de disculper son ex-collaborateur ? Si oui, Melvil-Bloncourt a dû trouver maladroit son témoignage. Il faisait de lui quelqu'un qui avait embrassé la Commune, par nécessité plus que par conviction.

Cluseret aurait-il interprété cavalièrement certains propos de Melvil-Bloncourt fondés sur une argumentation juridique de l'accusé ? D'un rapport circonstancié, Genève 10 mars 1874, sous la plume de l'indicateur Ludovic, nouslisons ceci : "...Le dîner donné par Cluseret a été très animé relativement à Melvil-Bloncourt, qui persiste à répondre aux félicitations qui lui sont adressées au sujet des poursuites autorisées par la Chambre, que les poursuites sont injustes, qu'il n'a occupé qu'un poste subalterne et que selon la justice, il ne devrait courir aucun risque."

Ouvrons ici une parenthèse pour présenter l'honorable correspondant de la Préfecture de police, "Ange Gardien" de la proscription genevoise. Nous savons infiniment gré au professeur Marc Vuilleurmier de l'Université de Genèvede nous avoir mis sur la piste de ce singulier personnage (3).

"Ainsi Josselin, ancien membre du Comité central de la Garde Nationale et Colonel Fédér, employé de commerce, qui, sous le pseudonyme de Ludovic, sera certainement l'un des meilleurs informateurs de la police, tant au sein de la proscription que, plus tard, chez les guédistes où il militera."

Suite page 44 (cliquez ici):
Retour page précédente (p.42) (cliquez ici):
Retour haut de page: