le communard marie-galantais ? (SUITE)
Le parlementaire :
C'est l'instant d'�voquer le parlementaire. Melvil-Bloncourt fit son entr�e sur la sc�ne politique avec la
chute de l'Empire. La Guadeloupe avait eu � �lire deux d�put�s. Le 15 octobre 1870, dans le
journal "Le Commercial" (Guadeloupe) �tait propos� le tandem, Victor Schoelcher et
Melvil-Bloncourt. Le 21 octobre 1870, le journal "L'Avenir" (Guadeloupe) proposait une : Victor
Schoelcher et Auguste Duchassaing.
Il faut dire que la candidature de Melvil-Bloncourt n'allait pas de soi, - son int�grit� et ses qualit�s
intellectuelles n'�tant pas en cause - mais ses adversaires, � Paris comme � la Guadeloupe,
n'avaient pas oubli� sa participation � la Commune. Le 10 mars 1871, "L'Avenir" donnait les
r�sultats des �lections de Paris o� avait �t� �lu Victor Schoelcher, en m�me temps que Victor Hugo,
Gambetta, Ledru Rollin, Cl�menceau. Y �tait �galement ins�r�e une note-manifeste en faveur
d'Adolphe Rollin et Melvil-Bloncourt. Le 11 mars 1871, "Le Commercial" (Guadeloupe) publiait le
manifeste suivant dans lequel M. Rollin d�clarait : "la nomination de notre illustre concitoyen, Victor
Schoelcher, � la repr�sentation de Paris, �tant un fait accompli, il y a lieu de porter nos voix sur un
autre candidat.
Je me substitue � M. Schoelcher dans la combinaison lib�rale repr�sent�e par lui et par M.
Melvil-Bloncourt auquel je suis uni par mes principes et mes convictions".
En d�pit des palinodies et des cabales, au premier tour de scrutin du 19 mars 1871, Melvil-Bloncourt
obtint 3211 voix, Adolphe Rollin 2898. Au second tour du 9 avril les r�sultats furent : Melvil-Bloncourt
2977, Victor Schoelcher 2495, Adolphe Rollin 2393, Auguste Duchassaing 2074. Le 25 avril 1871, la
Gazette Officielle donnait un scrutin rectifi� : Melvil-Bloncourt 3322 voix, Adolphe Rollin 2756.
C'�taient les deux candidats ayant eu le plus de suffrages. Et, voil� comment, Melvil-Bloncourt devint
d�put� de la Guadeloupe.
Cette victoire ne fut pas vue d'un bon oeil � Paris, car la Commune venait de prendre fin, et le nouveau
parlementaire en sortait. D'une synth�se de rapport (cote 74) faite � l'autorit� militaire voici un aper�u
: "De son �lection � la Guadeloupe, voici ce que l'on raconte :
Il s'agissait d'�lire deux d�put�s. Un propri�taire blanc, Monsieur Rollin, homme fort honorable posait
sa candidature, mais on lui fit observer qu'il ne passerait qu'en m�me temps qu'un homme de
couleur.
On songea alors � Melvil-Bloncourt qui, �tant �tabli en France depuis de nombreuses ann�es, tirait
de son �loignement ce prestige qui, aux colonies, entoure rapidementles cr�oles venant habiter
Paris.
M. Rollin fit les frais de la double �lection et malgr� l'opposition de tous les gens sens�s, Bloncourt
passa � la remorque de M. Rollin, mais � une tr�s faible
majorit�."
De 756 voix, cependant !!!
Son action au Parlement :
Durant son bref passage � l'Assembl�e nationale, de juin 1871 � f�vrier 1874, Melvil-Bloncourt fut un
parlementaire actif au bon sens du terme et un remarquable d�mocrate. S'il fut un politique respect�
et �cout� dans l'h�micycle, intellectuel il le fut non moins, double notion qui ne cohabite
g�n�ralement pas chez des politiques d'aujourd'hui ou d'autrefois de quelque ob�dience qu'ils se
r�clament. Nous entendons, intellectuel, au Ignacio Silone : "Ce mot d'intellectuel je l'emploie dans
un sens pr�cis : je d�signe ainsi tous ceux qui contribuent � la formation d'une conscience critique
au sein d'une �poque. Dans le sens o� je l'entends, ce terme d�signe une fonction et non pas une
corporation."
Citons quelques unes de ses initiatives : il amor�a la cr�ation d'une biblioth�que communale dans la
Ville de Pointe-�-Pitre, par l'envoi de livres obtenus du Minist�re de l'Instruction publique et des
Beaux-Arts. De ces ouvrages, toutes disciplines confondues mais notamment de litt�rature et de
sciences, nous en avons d�nombr� 390 ! Cela peut para�tre modeste, mais le geste est toujours
neuf. Cet envoi de livres dut sembler insolite au maire de Saint-Louis d'alors, M. Raiffer, auquel le
g�n�reux pourvoyeur r�pondit : "Moins de livres ! dites-vous. Goethe disait : De la lumi�re ! encore
de la lumi�re ! Je Suis de l'avis de Goethe. Et j'ajouterai : pas assez de livres."
Il eut, par ailleurs, le projet -hardi pour l'�poque de cr�er un mus�e public. Entre autres artistes il avait
choisi les tableaux du peintre guadeloup�en, Guillaume Guillon, dit Lethi�re, un cacique des
Beaux-Arts, en hommage filial, disait-il, � la Guadeloupe, ce qui peint bien le caract�re moral de cet
homme de culture qui fut charg� de mission culturelle avant la lettre.
Malheureusement, Melvil-Bloncourt ne put parachever son oeuvre de salubrit� mentale, son
mandat parlementaire allant �tre �court�, son pass� de communard n'ayant pas �t� oubli� par tout le
monde. Ce d'autant que, sur le plan politique, il �tait toujours rest� �gal � lui-m�me. Il si�gea �
l'extr�me gauche de l'Assembl�e nationale, et vota contre le pouvoir constituant, contre le
septennat. C'est l'heure de faire un retour en arri�re pour le situer dans le mouvement communaliste
qui allait infl�chir la trajectoire de sa vie.
Le pass� de Communard :
Melvil-Bloncourt enferm� dans Paris durant le si�ge de 1870, honorant ses convictions politiques,
devint un rouage important de la Commune, puisque adjoint du D�l�gu� � la Guerre, Cluseret. De la
synth�se des rapports (cote 74), nous lisons : "au mois de d�cembre 1870 il habitait une propri�t�
sise entre Vanves et Issy, mais, lors de l'investissement, il se r�fugia � Paris, rue de Navarin N� 19,
dans un appartement mis � sa disposition par un Sieur Martel, artiste dramatique qui �tait parti en
Bourgogne. Au d�but du si�ge Melvil-Bloncourt se fit incorporer dans le 116e bataillon de la Garde
Nationale, mais il y resta peu de temps"...
"Pendant la p�riode insurrectionnelle, il eut de fr�quentes entrevues avec Glais-Bizoin, avec
Cluseret, dont il �tait le conseiller intime, et il aura assist� � tous les entretiens que ce dernier eut avec
M. Bonvalet".
Le rapport adress� � la premi�re division militaire (cote 105) pr�cise : "... le 20 ou le 21 mars, il vint
offrir � Lullier, � l'H�tel de Ville, ses services, en disant qu'il donnait son adh�sion pleine et enti�re
au programme du comit� central et de la Commune."
Son d�vouement � la cause communaliste fit de lui une cible r�v�e. L'arriv�e au pouvoir du mar�chal
de Mac-Mahon devait mettre un terme � la vie parlementaire de Melvil-Bloncourt. Le pr�texte �tait
clair. Sous la Commune il avait eu la direction des engagements pour les bataillons de marche et
d'artillerie. Le m�me rapport pr�cise :
"Melvil-Bloncourt portait alors un k�pi de commandant d'�tat-major et avait sous ses ordres six
employ�s que le comit� central payait 3 francs par jour; Melvil de son c�t�, recevait ses �moluments,
fix�s �10 francs par jour, du caissier du D�l�gu� � la Guerre."
v
D'apr�s un extrait des Etats de solde, Melvil-Bloncourt aurait �marg� du 1er avril au 15 mai pour la
somme de 410 francs.
Le 5 f�vrier 1874, le g�n�ral du Barrail, ministre de la Guerre, faisait part � l'Assembl�e nationale du
r�le jou� en 1871 par le d�put� de la Guadeloupe. A cette lettre �tait jointe une demande et
autorisation de poursuite formul�e par le g�n�ral de Ladmirault, gouverneur de Paris.
"Je crois devoir appeler votre attention sur les faits suivants, desquels il r�sulte qu'un membre de
l'Assembl�e nationale est assez s�rieusement compromis dans l'insurrection de la Commune pour
qu'il puisse �tre l'objet de
poursuites devant un conseil de guerre... Melvil-Bloncourt a pr�t� son concours � la Commune dans
les conditions suivantes :
1) le 5 avril 1871, il fut charg� par d�cision du membre de la Commune, d�l�gu� � la Guerre, de la
direction des engagements pour les bataillons de marche et d'artillerie;
2) 2) ce m�me jour, il a pris possession de son poste au Minist�re de la Guerre, pavillon du Ministre,
et 23 pi�ces - dont 16 rev�tues de sa signature - certifient qu'il a r�ellement exerc� jusqu'au 16
mai 1871 inclus les fonctions de chef de service des enr�lements; ces pi�ces portent presque
toutes comme en-t�te : "Ordre du Citoyen Cluseret, d�l�gu� � la Guerre..."
L'autorisation de poursuivre fut vot�e le 28 f�vrier1874, par 532 voix contre 64. Melvil-Bloncourt qui
�tait parti pour Gen�ve quelques jours auparavant, fut condamn� par contumace � la peine de mort le
5 juin 1874, par le 3�me Conseil de guerre de Paris, et d�chu de son mandat de repr�sentant le 9
d�cembre 1874 par un vote � l'Assembl�e.
Voici l'attendu du verdict :
"Bloncourt-Melvil, Sainte Suzanne, dit Melvil-Bloncourt d�put� de la Guadeloupe, Homme de
Lettres, (contumax) coupable d'avoir en 1871, � Paris, particip� � un attentat dont le but �tait d'exciter
la guerre civile en armant et en portant (sic) les citoyens � s'armer les uns contre les autres; lev� ou fait
lever des troupes arm�es et enr�l� des soldats sans aucune autorisation du pouvoir l�gitime; exerc�
une fonction dans des bandes arm�es et provoqu� des militaires � passer aux rebelles arm�s."
Ce verdict fut prononc� � l'unanimit�. Il aurait pu ajouter, d�lit d'opinion et un salaire de 410 francs.
M�me des francs-or, c'�tait ch�rement pay�...
Si Melvil-Bloncourt �chappa au peloton d'ex�cution, l'on ne saurait dire que la Presse l'y aida, car
constamment, elle sonna plut�t l'hallali. Dans une lettre du 6 juillet 1872, il �crivait : "Le Figaro, l'ann�e
derni�re, me d�non�ait et demandait ma t�te". Le "Petit Moniteur Universel", lundi 9 f�vrier 1874 n�
40, �crit dans une Derni�re Heure : "Beaucoup de personnes se sont demand�es comment M.
Melvil-Bloncourt, ancien serviteur de la Commune n'avait pas �t� arr�t� apr�s la d�faite de
l'insurrection".
Dans "Paris-Journal", dimanche 8 f�vrier 1874 n� 38, sous le titre "Le cas Melvil-Bloncourt", le
capitaine Grimal, ex-commissaire du gouvernement, �crit "... A M. Thiers, et � lui seul, la responsabilit�
du d�faut de poursuites pour des crimes ou d�lits dont il avait une parfaite connaissance : personne,
parmi certains rebuts du 4 septembre, n'avait sans doute int�r�t � ce que Melvil-Bloncourt fut
poursuivi, et il ne l'a pas �t�..."
Sans doute dut-il son salut � l'amiti� que Thiers lui t�moignait. Il devait cette amiti� au fait qu'il avait
vot� le 24 mai 1871 pour le maintien de Thiers au pouvoir.
Un rapport de la Pr�fecture de Police sous la plume du policier M. Brissaud, dat� du 6 f�vrier 1874, 9
heures un quart, soir, relate la filature dont fit l'objet Melvil-Bloncourt, de son domicile, accompagn�
"d'un autre mul�tre", � la gare de Lyon o� il empruntait le train de Lyon-Italie. De son c�t�, la police
helv�tique ne d�m�rita pas. D'un t�l�gramme chiffr�, N� 590, de Ferney pour
Versailles, d�pos� le 9 f�vrier 1874, 5 heures 25 du soir, le commissaire sp�cial Ferney � Int�rieur
S�ret� G�n�rale, annonce :
"Melvil-Bloncourt arrive � Gen�ve hier au soir. Descendu chez Cluseret. Ce soir la proscription lui
offre un punch chez Bellivier. Cluseret attend lettre Levraud pour partir".
En Suisse :
R�fugi� en Suisse, il fit la navette, de Neuch�tel, Ch�ne et Gen�ve pour s'installer enfin � Gen�ve.
Car il �tait toujours poursuivi et �pi�, comme les principaux proscrits, par les sbires du pouvoir. Si
bien que, en 1879 encore, dans une correspondance � Nadar, il lui demandait de domicilier son
courrier � cette double adresse : Chemin des Volandes (Maison Costes), 5e Chemin des Eaux Vives,
Gen�ve, chez M. Pag�s (aujourd'hui, ce sont des rues adjacentes).
Nous supposons que la derni�re identit� est emprunt�e au nom de jeune fille de son �pouse,
Fran�oise Pag�s, n�e � B�ton Rouge, en Louisiane, contrairement � ce qui est rapport� par un acte
de mariage de la mairie du XIe du 8 d�cembre
1859, qui la fait na�tre � Paris du dioc�se de B�ton Rouge, dat� du 5 D�cembre 1835, prouve que
Fran�oise Pag�s y est bien n�e le 5 d�cembre 1833 de Jean Baptiste Pag�s et de Colette
Espinard.
L'on peut conjecturer que cette erreur de transcription est une s�quelle de la Commune, car ce
document �voqu� est un acte de mariage r�tabli en vertu de la loi du 12 f�vrier 1872, par la 2e
section de la Commission dans sa s�ance du 22 octobre 1880. Que Pierre Bardin qui est l'inventeur
de ces pi�ces et de la suivante soit ici remerci�. Celle-ci est l'acte de mariage de Melvil-Bloncourt
qui eut lieu en l'�glise Saint-Jacques du Haut-Pas. Elle est instructive, car fait appara�tre le nom de
ses amis de longue date. Parmi les t�moins, nous relevons de Pierre L�opold Buchet de Cublize, Jules
Prosper Levallois, Adolphe Edouard Bonnet, Auguste Caristie.
Nous ignorons quand et comment madame Melvil-Bloncourt gagna la Suisse, bien que G. Sarlat dans
"Le Nouvelliste de la Guadeloupe" du 29 mai 1918, ait �crit : "Melvil, qui ne se faisait aucune illusion
sur le sort qui l'attendait, quitta Paris pour la Suisse, avec la noble femme qui �tait sa compagne,
aussit�t que fut d�pos�e la demande en autorisation de poursuites sur le bureau du Parlement".
Toutefois, une Commission ayant �t� charg�e d'examiner la validit� des charges � l'encontre de
Melvil-Bloncourt, dans le Cahier Rose (ainsi nomm� par nous, � cause des marbrures de sa
couverture) o� �taient not�es toutes les interventions des parlementaires, nous avons relev� une
d�claration de Pierre Cl�ment Eug�ne Pelletan, l'unique supporter de Melvil-Bloncourt, pr�cisant
que "Madame Bloncourt a charg� un d�put� des colonies de protester en son nom contre les lettres
de Cluseret."
(Cette protestation, si elle eut lieu, doit se trouver dans l'Analytique du Journal Officiel)
Pelletan faisait allusion � un courrier dat� de Gen�ve du 7 f�vrier 1874, jour de l'arriv�e de
Melvil-Bloncourt en Suisse, adress� � la commission, o� en substance il r�fute les charges
prononc�es :
"Je dois � la v�rit� de d�clarer que tout cela est fort exag�r�. M. Melville (sic) avec lequel je n'ai eu
aucun rapport direct depuis la Commune, et pour ainsi dire pas pendant, vint me trouver en avril 71
sous l'empire de la n�cessit�. Comme beaucoup d'hommes de lettres � cette �poque il �tait sans
ressources."
Essayait-il de disculper son ex-collaborateur ? Si oui, Melvil-Bloncourt a d� trouver maladroit son
t�moignage. Il faisait de lui quelqu'un qui avait embrass� la Commune, par n�cessit� plus que par
conviction.
Cluseret aurait-il interpr�t� cavali�rement certains propos de Melvil-Bloncourt fond�s sur une
argumentation juridique de l'accus� ? D'un rapport circonstanci�, Gen�ve 10 mars 1874, sous la plume
de l'indicateur Ludovic, nouslisons ceci : "...Le d�ner donn� par Cluseret a �t� tr�s anim� relativement
� Melvil-Bloncourt, qui persiste � r�pondre aux f�licitations qui lui sont adress�es au sujet des
poursuites autoris�es par la Chambre, que les poursuites sont injustes, qu'il n'a occup� qu'un
poste subalterne et que selon la justice, il ne devrait courir aucun risque."
Ouvrons ici une parenth�se pour pr�senter l'honorable correspondant de la Pr�fecture de police,
"Ange Gardien" de la proscription genevoise. Nous savons infiniment gr� au professeur Marc
Vuilleurmier de l'Universit� de Gen�vede nous avoir mis sur la piste de ce singulier personnage (3).
"Ainsi Josselin, ancien membre du Comit� central de la Garde Nationale et Colonel F�d�r, employ�
de commerce, qui, sous le pseudonyme de Ludovic, sera certainement l'un des meilleurs informateurs
de la police, tant au sein de la proscription que, plus tard, chez les gu�distes o� il militera."