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MELVIL-BLONCOURT

le communard marie-galantais ? (SUITE)

Histoire de la vie de Voltaire

Proscrit, intellectuel désargenté dans un pays étranger, que faire ? Sinon être serf de sa plume, dans l'espoir qu'elle vous rémunérera de vos peines. Dans un courrier du 31 janvier 1878 à Nadar, il presse son ami de lui trouver un éditeur, afin que l'ouvrage qu'il a entrepris paraisse àl'occasion du centenaire de la mort de Voltaire. Melvil-Bloncourt, en effet, avait eu l'ambitieux projet d'écrire une Histoire complète de la vie de Voltaire. Ce livre que lui-même appelait son "monument de Palenque", ne trouvant pas d'éditeurs parisiens en dépit de diligents intercesseurs, Nadar et Troubat, secrétaire de Sainte-Beuve, il le morcellera en six volumes.

Il écrit de Genève le 21 mars 1878 à Nadar : "Permets moi de revenir avec toi sur mon Voltaire. J'ai appris depuis un mois environ par Troubat l'échec que toi et lui aviez éprouvé. Cette nouvelle m'a quelque peu désespéré, mais non abattu. Comme c'était surtout l'énormité du livre qui avait effrayé messieurs les éditeurs, j'ai démoli entièrement ce monument de Palenque et de ses débris j'ai construit six ouvrages différents, tous les six sur Voltaire, bien entendu".

Ce sont : "Histoire complète de la Vie de Voltaire" par Raoul d'Argental, "Voltaire et l'Eglise" par l'abbé Moussinot, "Voltaire à Paris" par Edouard Damilaville, "Voltaire en Prusse" par l'abbé Thi*riot, "Cent et une anecdotes sur Voltaire" par Gaston de Genouville, "Le Bien et le Mal qu'on a dit de Voltaire" par Maxime de Cideville.

Dans la notice biographique qu'il a consacrée à Melvil-Bloncourt dans son "Dictionnaire des Contemporains", Gustave Vapereau glisse avec une perfidie bon enfant : "On lui a attribué la paternité de trois volumes intitulés, Histoire complète de Voltaire, Voltaire et l'Eglise, et Voltaire à Paris (1878) signés des pseudonymes de Raoul d'Argental, l'abbé Moussinot et Edouard Damilaville".

N'en déplaise à Vapereau, ces ouvrages ont bien existé et peuvent encore de nos jours être consultés à la Bibliothèque de la ville de Paris et à la Bibliothèque publique et universitaire de Genève. Le 31 août 1990, le professeur Marc Vuilleurmier, - qu'il soit de nouveau remercié - nous écrivait : "Je vous signale que la plupart des ouvrages deMelvil-Bloncourt sont dédicacés par lui à Jules Perrier, un communard bibliophile, qui a légué ses collections à la Ville de Genève."

Dans l'exemplaire "Cent et une anecdotes sur Voltaire", offert ^ la Bibliothèque Publique de Genève, nous pouvons lire la dédicace suivante : "Douze exemplaires de cet ouvrage portent le vrai nom de l'auteur, M. Melvil-Bloncourt. Les autres ont paru sous le pseudonyme de Gaston de Génouville. Toutes les notes signées des initiales G.G. sont donc de M. Melvil-B."

Toutefois, si ce mémorial à la gloire du philosophe ne put paraître à la date espérée, l'anniversaire du centenaire de la mort de Voltaire, notre exilé fut un membre actif d'entre ceux qui en Suisse, à Ferney, préparaient la commémoration de ce grand jour. La police parisienne en fut informée par son fidèle argousin, Ludovic. On peut lire dans son rapport écrit de Genève, le29 mai 1878 : "Melvil-Bloncourt fera vendredi soir une conférence à propos du Centenaire de Voltaire. Il prendra pour texte le refus du Gouvernement de faire du centenaire une fête nationale et démontrera que ce refus est dû à l'influence du clergé. Il compte s'étendre préalablement avec Razoua, Arthur Arnould et Lefrançais."

La confirmation de la véracité de ce compte-rendu policier, on la trouve dans une lettre de Melvil-Bloncourt du 25 juin 1878 : "Je comptais sur une recette de 500 francs au moins; mais une pluie torrentielle est venue noyer ma pauvre conférence. Je n'ai fait qu'une cinquantaine de francs, tous frais payés."

Cela laisse entendre, également, que la vie de Melvil-Bloncourt, comme des autres proscrits n'étaient pas rose. L'on trouve cet écho chez Maxime Villaume : "Genève, Février 1873. Je suis revenu à Genève, après mon expulsion de Lausanne. La misère. Une quarantaine de francs par mois d'articles au supplément du dimanche de la Gazette de Lausanne. L'avenir n'est pas couleur de rose."

Nous trouvons cette même plainte en forme de supplique écrite par un ami, Elisée Reclus, de Vevey 14 janvier 1877, près de Louis Blanc pour :

1) "Un de mes amis et camarades de prison, Isidore Dolmont...

2) Melvil-Bloncourt qui est un de mes anciens amis, n'est pas très heureux depuis qu'on lui a fait l'honneur de le condamner à mort. Les leçons ne viennent pas en abondance et il est souvent malade. Ne croyez-vous pas que ses travaux précédents lui permettraient mieux qu'à personne d'écrire de temps en temps des correspondances sur le Mexique, Cuba et le Brésil ?"

Néanmoins, en dépit de toutes les vicissitudes éditoriales et de l'existence, son "monument de Palenque" ou sa "cathédrale de Cologne", autre épithète qu'il affectait à son oeuvre, paraîtra sous le pseudonyme de Raoul d'Argental.

Pourquoi ce dernier ? Melvil-Bloncourt l'avait choisi, car "le meilleur et le plus constant ami de Voltaire, né en 1700, mort en 1788, il devint le déposi taire de ses peines et de ses plus secrètes pensées." "L'Histoire complète de la vie de Voltaire" est ainsi dédicacée : "A mon ami G. citoyen de l'Ile de Cuba. Raoul d'Argental."

Qui est ce G ? Le professeur Oriol en donne la clé : "Melvil-Bloncourt désespérait de trouver un éditeur lorsqu'un riche créole de Cuba, Pedro Garc´a fit les avances des frais d'impression de l'Histoire de Voltaire."

La firme Sandoz ayant demandé à l'auteur de lui confier tous ses manuscrits, décidait ensuite d'imprimer à ses frais toute l'oeuvre. Melvil-Bloncourt fait merveille dans son "entreprise titanesque" comme il a qualifié son travail : surtout pour éclairer par ses annotations le lecteur non averti; à cet égard, redressant les erreurs ou omissions de ses prédécesseurs. Il a tout lu, sait tout sur Voltaire.

On peut dire que ses dix-huit mois de labeur ont donné naissance à une somme extraordinaire de précision et d'objectivité envers son modèle. Il justifie sa méthode dans une lettre à Nadar du 31 Janvier 1878 : "Les autres biographes sont ou des panégyristes outrés ou des détracteurs de parti pris. Je donne toutes les pièces, c'est à dire le dossier, et je laisse le public, c'est à dire la postérité - car elle a commencé par Voltaire - examiner et juger."

Si nous n'avons pu consulter les réactions de la presse helvétique à propos des ouvrages de Melvil-dû en dire, en nous reportant à un compte-rendu du journal "Le Rappel" du 25 octobre 1878, pieusement recueilli par la Préfecture de Police..."Ces divers volumes sont un véritable ouvrage de bénédictin, dû aux recherches à la fois sagaces et patientes de M. Melvil-Bloncourt...

Ce que ces cinq volumes représentent de travail et d'érudition est énorme, et cette publication ne peut que populariser la connaissance de cet homme admirable... Avec les volumes que nous sommes heureux de signaler, on connaîtra sans peine et sans fatigue l'écrivain le plus étonnant peut-être de la France du passé... Nul n'était mieux préparé que M. Melvil-Bloncourt pour un semblable travail, car nul ne sait mieux son Voltaire sur le bout du doigt."

Melvil-Bloncourt durant sa proscription ne fut pas seulement l'homme du cabinet que l'on pourrait croire. Sa générosité, également, éétait toujours en éveil, si nous osons dire. Il se faisait l'intercesseur d'exilés plus mal lotis encore que lui ou qui avaient le mal du pays. Ainsi, le 15 mai 1879, écrivait-il à Nadar d'intervenir en faveur d'un ouvrier horloger, Rebeyrolles : "Cet honnête homme a le plus vif désir de retourner en France, car il mange ici le peu qui lui reste, tout en travaillant comme un mercenaire... Toi qui as sauvé Bergerat lui-même, tu parviendras à sauver, c'est-à-dire à faire amnistier Rebeyrolles."

Projets inachevés

Délivré, disait-il avec humour, de sa "boutique voltairienne", Melvil-Bloncourt, toujours soucieux de la recherche de la Vérité comme son illustre modèle, Voltaire, commença vers septembre ou octobre 1878, àtravailler sur une Histoire coloniale, "A peine m'étais-je dépouillé de ma perruque à frimas" écrit-il, non sans humour. Dans le volume qu'il pensait consacrer à la Guadeloupe, un fait-divers sanglant l'a captivé. La tuerie dansla nuit du 6 octobre 1802 à Sainte-Anne de 23 personnes blanches, selon Sainte-Croix de la Roncière. De l'enquête prescrite par Lacrosse, deux blancs seraient les meneurs : Barse et Millet de la Girardiè re. Melvil-Bloncourt, lui, voudrait réhabiliter la mémoire de ces condamnés exécutés sauvagement, car son intuition lui dit, alors qu'il n'en a aucune preuve, qu'il y a eu un déni de justice. Il écrit :

"Il semble que ces deux hommes ont été des martyrs... Il serait beau à une victime des massacres de mai 1871 de venger, après 76 ans, la mémoire de deux martyrs de brigands de 1802 à la Guadeloupe."

C'est une sorte de synthèse de l'Histoire de la Guadeloupe et de la France qu'il voudrait esquisser là.

Entre autres projets laissés inachevés de Melvil-Bloncourt, on eût aimé lire un second manuscrit : son "Traité linguistique" (5). En effet, dans une chronique de la "Revue du Monde Colonial", "Les Antilles et la Revue des Deux Mondes", réplique à un article de Ed. du Hailly, il esquisse une étude de sociologie humaine comparée, en même temps qu'il montre que le parler créole ne lui était pas étranger. Il enseigne au détracteur de la société nègre la signification du mot poban (ou pur blanc) (6) mot que de nos jours encore bien peu d'Antillais connaissent, émaillant son propos d'un proverbe célèbre tiré de lalangue.

L'amnistie

En janvier 1879, le sujet de l'amnistie ou non occupe la Presse. Mais les divers projets s'élaboraient dès juin et juillet 1878. Le 2 août 1878, Melvil-Bloncourt écrivait de Genève à son frère : "Cher vieux frère, bonne réception du numéro de La Lanterne contenant l'annonce d'une décision gracieuse du Chef de l'Etat concernant MM. Elie et Elisée Reclus, Lachâtre, Brisson et moi. j'ignore ce qui a pu être fait de gracieux en faveur de ces messieurs, mais, en ce qui me concerne, cette nouvelle n'est qu'un gros canard couvé par quelque petite oie de l'immonde Presse Française."

Le projet de loi longtemps attendu par l'opinion fut enfin voté par 312 voix contre 136. La commission sénatoriale le repoussa ! Le 10 juillet 1880 une grâce-amnistie gracia tous les condamnés. Mais, Melvil-Bloncourt, malgré la répulsion qu'il éprouvait à s'abaisser devant la magnanimité rétive du pouvoir, sera amené a résipiscence pour des raisons de santé. Il accepte une "grâce" en mars 1879.

Il écrira : "Il est bien certain, que si je pouvais plus longtemps supporter le climat homicide de Genève ou être certain de gagner ma vie sous un ciel plus clément, jamais je n'accepterais de passer sous les fourches caudines de ces bourgeois féroces."

Avec l'amnistie, Melvil-Bloncourt rentre en France, passe les mois de juin et juillet à Paris, puis, retourne à Genève le 12 août pour régler son déménagement.

Il reviendra à Paris pour s'installer définitivement au 59 de la rue des Batignoles, immeuble qui existe encore.

Amnistié, Melvil-Bloncourt est ipso facto devenu éligible : sa candidature est de nouveau sollicitée. De Genève il écrivait le 29 avril 1879 : "...si les électeurs de Guadeloupe ne reprenaient pas leur ancien représentant, ils se rendraient implicitement complices des misérables qui l'ont envoyé à la mort."

Lisons à présent un extrait de la proclamation de Melvil-Bloncourt, laquelle est une sorte d'autoportrait, parue dans "L'Echo de la Guadeloupe", journal des intérêts coloniaux, n° 66, mardi 19 août 1879.

Paris le 13 juillet 1879 - A messieurs les électeurs de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) signataires de l'adresse qui m'a été envoyée.

"Mrs et chers compatriotes

C'est avec la joie la plus grande que j'ai reçu l'adresse par laquelle vous me faites l'inappréciable honneur de m'offrir la députation de la Guadeloupe, notre chère et commune patrie; je vous en remercie de toute mon âme, et à tout jamais je vous en serai reconnaissant. Permettez-moi de ne point faire de profession de foi : ma vie et mes actes sont connus, parlant mieux et plus haut que tous les vains écrits, toutes les fallacieuses promesses. Je n'ai été si impitoyablement frappé par la réaction triomphante que parce qu'elle avait reconnu en moi un républicain indomptable et éprouvé, un démocrate de vieille date, un continuateur constant, sinon brillant, de notre immortelle Révolution."

>H3>Fin de sa carrière politique

Mais la carrière politique de Melvil-Bloncourt était terminée au moins en filigrane, avant même son entrée en lice, le 31 août 1879. Au premier tour, il obtint 628 voix, au second... 140. Non seulement son passé d'ancien communard avait joué àson détriment, mais la botte de Jarnac lui avait étè décoché par un bretteur des plus inattendus : Victor Schoelcher ! D'une correspondance de ce dernier du 4 avril 1879, on lit : "En dehors de messentiments personnels qui, par suite de l'étrange inimitié que lui et son frère m'ont portée, ne lui sont pas du tout favorables, j'estime que le choix de Melvil-Bloncourt serait très funeste à notre cause. Il a trempé dans la Commune..."

L'une des raisons de cette volte-face peut être trouvée dans l'opinion de Lissagaray, mémorialiste insigne de la Commune : "Les autres, Ledru-Rollin, Louis-Blanc, Schoelcher, etc., l'espoir des républicains sous l'Empire, étaient rentrés d'exil, poussifs, cariés de vanité et d'égoïsme, irrités contre la nouvelle génération socialiste qui ne se payait plus de systèmes." Peut-être qu'aux yeux de Melvil-Bloncourt, également, celui qu'il appelait le Roi des Iles, était devenu, pour évoquer des évènements contemporains, un Quarante-huitard reconverti ! Au vrai, nous ignorons la raison de cette inimitié dont parleSchoelcher, lui un familier des Bloncourt. Monsieur Gaston Bloncourt nous a dit garder le souvenir du piano offert par Victor Schoelcher à sa grand-tante, Catherine, décédée en 1929.

Melvil-Bloncourt et la Commune

Il nous semble que l'on ne saurait clore nul essai de biographie de Melvil-Bloncourt sans esquisser un paragraphe qui pourrait s'intituler : Melvil-Bloncourt et la Commune. Qui étudie, en effet, sa vie, est surpris de découvrir que celui qui était livré par la Presse à la vindicte populaire sous le terme infamant de Communard, et par les plus bienveillants, de collaborateur de haut rang de la Commune par sa fonction et ses relations, ne figure dans aucun ouvrage consacré par les Mémorialistes du Mouvement; à Lissagaray près : "Un ancien membre de la Commune, Ranc, avait été nommé député par Lyon, on le condamna à mort; de même, un autre député, Melvil-Bloncourt, attaché à la délégation à la guerre..." ("Histoire de la Commune de 1871", P.-O. Lissagaray).

Accessoirement, nous découvrons Melvil-Bloncourt à la rubrique "Communards" photographié en pied au catalogue d'une exposition consacrée à Etienne Carjat au musée Carnavalet. Pour avoir mieux, il nous faut encore revenir à une enquête du 25 avril 1874 (cote 77), adressée à la 1ère division militaire : "Monsieur le Commissaire, je suis chargé de suivre contre le nommé Bloncourt (Melvil) député de la Guadeloupe, et j'apprends que cet inculpé, domicilié pendant la Commune rue de Navarin, 19, chez Martel, artiste dramatique, a donné là, pendant la période insurrectionnelle, des soirées auxquelles étaient invités des officiers supurieurs insurgés. Les propos les plus exaltés y auraient été tenus et on aurait entendu Bloncourt s'écrier : "que la Commune n'avait pas de leçon à recevoir de Versailles."

L'on se demande si les Mémorialistes ont voulu seulement considérer les membres de l'Etat-major communaliste comme les plus dignes d'être cités. Nul ne s'est avisé alors de dire quel fut vraiment son rôle près de Cluseret ou d'autres communalistes marquants, même après son départ du Ministère de la Guerre. Le Général Cluseret lui-même, si prolixe dans ses Mémoires, n'en souffle mot. Mais, de Cluseret cela ne saurait étonner, car il s'agissait d'unhomme à la personnalité sinon insaisissable, disons ondoyante pour user d'un euphémisme, si nous croyons l'opinion de ceux qui l'ont côtoyé ou sévèrement jugé.v Ou bien, se chargeaient-ils de décerner des satisfecits à eux-mêmes ?

Ainsi Rossel écrit, dans "Mon rôle sous la Commune" : "Le personnel du Ministère de la guerre se composait, au début, de Cluseret et de moi, avec deux ou trois flâneurs qui formaient la suite de Cluseret".

Nous relevons, cependant, un détail qui ne semble pas manquer d'intérêt, dans le Tome I, page 131, des Mémoires de Cluseret : "tout ce travail s'était accompli entre Mayer et moi pour tout ce qui concernait l'organisation de l'infanterie. L'agent dont je dois taire le nom pour ne pas le livrer à Versailles, m'aida puissamment à rendre les divers services administratifs indépendants."

Avec le professeur Marc Vuilleurmier nous pensons que la vie des nombreux communards proscrits en Suisse reste à écrire.

Le décès

Après six années passées dans la Confédération, et peu de temps après son retour à Paris, Melvil-Bloncourt s'éteignit le 9 novembre 1880, mort probablement davantage des privations de l'exil que de l'ingratitude de ses compatriotes et amis. Nous ne saurons jamais ce qu'il a dit à Nadar. Dans une lettre du 23 octobre 1880, d'une écriture déjà défaillante, il écrit : "Comme je puis (sic) bouger étant fort malade je te serai obligé si tu peux disposer de quelques instants, de venir me voir au plus tôt car j'aurai besoin de causer avec toi."

La Presse parisienne se fera l'écho unanime de son décès, de même la Préfecture de Police l'aura eu à l'oeil jusqu'à son ensevelissement.

"Dépêche télégraphiée. Préfecture de Police Municipale, le 11 novembre 1880, 2h45, 17ème, à chef de la Police Municipale.

Enterrement de M. Melvil-Bloncourt rue des Batignoles, 59.v Le monde commence à venir, mais en petite quantité. Tout au plus 20 personnes stationnent dans la cour et aux abords de la maison. Tout est calme. Sign* : Pelardy."

Voici du journal "Marseillaise", 12 novembre 1880, "Le cortège s'est formé à la maison mortuaire, 59, rue des Batignoles, et de là, s'est dirigé par la rue Marcadet, au cimetière Saint-Ouen. Une couronne d'immortelles, entouré d'un ruban rouge, portait l'inscription : "A mon mari". Dans l'assistance nous avons remarqué les citoyens Edmond Lepelletier, Victor Simond, et L. De Perthou (du Mot d'Ordre), Nadar, Carjat, Martel (de la Comédie-Française), Louis Dumoulin, Jaclard, Picchio, etc."

Du "Rappel", novembre 1880, "Les obsèques de Melvil-Bloncourt ont eu lieu hier au milieu d'une foule qu'on peut évaluer à deux mille personnes. Le deuil était conduit par MM. Arthur Arnould, Kuffner et Songeon. Dans l'assistance, on remarquait un assez grand nombre d'anciens membres de la Commune et des rédacteurs de journaux républicains. Au cimetière un émouvant discours a été prononcé par M. Arthur Arnould. L'assistance s'est séparée aux cris de : Vive la République."

S'il fallait faire une revue de cette Presse parisienne, ce serait un florilège de panégyriques à la mémoire du d*éfunt dans lequel chacun, adversaire ou ami, reconnaissait les qualités intellectuelles et morales de Melvil-Bloncourt.

Après sa mort il fut encore louangé. A. Becquet, dans ses "Profils de Communards", le 3 janvier 1881, écrivait dans l'Etoile Française, "Ce libre-penseur qui a été enterré civilement, avait une admiration absolue du sans-culotte Jésus-Christ. Il n'a jamais fait de mal à personne, n'a eu de rancune contre personne, et ses mots contre les camarades que la fortune éloignait de lui, n'étaient que des satisfactions données à sa nature éminemment éprise d'aristocratie".

Le 21 février 1887, "Le 19e siècle" rappelait ses lecteurs au souvenir de sa mémoire : "Melvil, ainsi que la plupart des hommes de la génération à laquelle il appartenait, fut un républicain très sincère et très ardent, mais c'était surtout et foncièrement un homme de lettres."

Laissons la parole au fidèle Nadar qui décrit ainsi leur première rencontre dans le jardin du Luxembourg :

"Dans ce temps-là, le jardin du Luxembourg appartenait à la petite bande bruyante et un peu despotique que nous avions créée au milieu des diverses du Quartier Latin. Il y avait le journaliste Paul Crubailhes et tous lesautres dont le public ignorait complètement les noms, Murger, de Banville, Veyne, Songeon et son copain decollège, Baudelaire, Asselineau, et dont les survivants persistent ^ ignorer quelle peut être la différence entre le 5 et 3 % (7).

Melvil-Bloncourt devait venir à nous. Il nous fut amené par un grand diable de mulâtre qui vivait à côté de nous, Privat d'Anglemont."

Et pour finir, ce médaillon : "Comme il était précisément le contraire de ces politiques qui se font de leur conscience une industrie, avec leurs opinions des rentes, Melvil-Bloncourt était dès lors marqué pour l'éternelle lutte, pour la persécution, la pauvreté : pour le sacrifice".

Melvil-Bloncourt fut donc enterré au cimetière de Saint-Ouen. La concession où reposait sa dépouille allait être renouvelée jusqu'en 1896 (8), année au cours de laquelle, probablement, son épouse avait quitté la France, car feue mademoiselle Yolande Bloncourt, nous a dit, que, enfant, elle l'avait vue à Pointe-à-Pitre chez les siens.

Après 1896, la dépouille de Melvil-Bloncourt, selon la formule administrative, "a été remise dans l'ossuaire commun." Que l'on eût aimé voir fleurie la tombe d'une si grande et belle figure. Les ascendants et apparentés de Melvil-Bloncourt peuvent tirer une légitime fierté de celui qui durant toute sa vie sut honorer leur devise : "Mieux vaut mourir que salir".

Il appartient au lecteur à présent, de dire si la personne de Melvil-Bloncourt méritait d'être exhumée cent dix-sept ans après sa mort.

NOTES

1) En fait il s'agit de Creuillette Ludovine Leblond, devenue Bloncourt, née au Moule en 1787.
2) "Revue des Deux Mondes", 1863, pages 840 à 86 , Saint- René Taillandier. "Opinion Nationale", 14 Décembre 1862, Jules Levallois.
3) "Les exilés communards en Suisse", In "Cahiers d'histoire, T. XXII, 1977, n° 2, p. 153-176.
4) Tous, communalistes célèbres, proscrits en Suisse.
5) Un écho de "Paris-Journal" du 9 mai 1874, écrit : "Le nègre Melvil-Bloncourt réfugié à Genève tient absolument à faire parler de lui. Il vient de publier une brochure, à laquelle l'autorité interdit l'entrée en France. Cette brochure a pour titre : Les Rouges et les Pâles". (Nous n'avons pas trouvé ce pamphlet, probablement écrit sous un pseudonyme. N. de l'auteur).
6) dans sa "grammaire créole" Germain donne comme définition du mot Poban : Européen de condition modeste, petit commerçant ou flacon à huile de forme spéciale usité chez les seuls Pobans.
7) Nous supposons que Nadar fait allusion à des taux de rente (sans garantie !)
8) Cette précieuse et ultime précision, nous la devons également à Pierre Bardin.

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